Xavier Moni : « Notre force de frappe réside dans nos magasins »
25/07/2019
Un mois après le lancement de la campagne d’information « Un livre a le même prix partout » et les Rencontres nationales de la Librairie, le Président du Syndicat de la librairie française (SLF), Xavier Moni, explique à BookSquad en quoi le prix unique du livre est un système protecteur du modèle de la librairie. Il nous parle aussi des alternatives proposées par les librairies face à la puissance des plateformes de commerce en ligne, et la nécessité de faire front commun afin de protéger le livre.
BookSquad : Vous avez lancé la campagne grand public sur le prix unique du livre, le mois dernier. Pourquoi continuer à défendre le prix unique ? Quels dispositifs concrets comptez-vous mettre en place pour sensibiliser le public à cette problématique ?
Xavier Moni : Cette campagne, qui s’adresse tout à fait au grand public, est née du constat que si la loi sur le prix unique du livre aujourd’hui est plutôt sécurisée, d’un point de vue législatif, pour la majorité des gens, elle ne semble pas exister. Les libraires se rendent compte que dans l’esprit de nombreux consommateurs, l’achat en librairie paraît plus cher que sur Internet. En communiquant sur le prix unique, nous voulons lever ce frein psychologique.
Pour comprendre les raisons pour lesquelles nous nous accrochons au prix unique, il faut essayer de comprendre le contexte. L'idée d'un prix unique du livre est arrivée plus ou moins au milieu des années 1970, avec l’arrivée de la Fnac et de la notion de discount. À cette époque, le prix unique n’existait pas, nous parlions de « prix de vente conseillé ».
Rapidement, il y a eu une tentative de casser les prix sur les nouveautés ou sur les titres très demandés, afin de capter la clientèle, les magasins ont ensuite tenté de faire pratiquer les prix qui les arrangeaient. La loi Lang de 1981, qui a été bâtie par des éditeurs à l’initiative de Jérôme Lindon, ancien Président et fondateur des éditions de Minuit, a été mise en place pour protéger la « bibliodiversité » et donc, protéger un réseau de revendeurs.
Pour nous, le prix unique permet une création et une rémunération de la création. Elle permet aussi la présence d’un réseau de revendeurs sur le marché. Si, demain, le prix unique est cassé, nous savons pertinemment que quelques gros acteurs vont tuer tous les plus petits et qu’un rapport de force extrêmement défavorable se mettra en place, aussi, à l’égard de la création.
Ce qu'il se passe aujourd’hui, c’est qu’il y a un brouillage de la loi de 1981 par Amazon. Sur son site, celui-ci fait la distinction entre prix neuf et prix d’occasion, mais il vend en réalité, le plus souvent, des livres « d’occasion » en état neuf, et joue sur la terminologie afin de pratiquer des prix cassés.
C’est pour cela que nous avons lancé la campagne d’information sur le prix unique du livre, afin de rendre cette loi plus visible pour les consommateurs. Nous avons déjà créé un logo, dont les acteurs - libraires et éditeurs - peuvent s’emparer pour l’utiliser sur leurs supports de communication, au travers de leurs campagnes d’affichages, de marque-pages, sur leurs vitrines ; et pour les éditeurs, pourquoi ne pas l’apposer sur les quatrièmes de couverture de leurs livres.
BS : Face à une baisse des ventes de livres de 2,5 % en 2018, et la dominance du commerce en ligne qui attire les consommateurs par sa praticité, comment les librairies peuvent-elles repenser leur propre format ?
X.M. : Nous faisons fondamentalement deux métiers différents. Vouloir s’attaquer au commerce en ligne n’est pas notre cœur de métier et n’est pas envisageable. C’est d’ailleurs ce qu’explique, de manière assez provocante, Philippe Moati dans son étude « Le regard et les attentes vis-à-vis du leur librairie » (NDLR : étude publiée en 2014), en expliquant clairement que nous, libraires, ne pouvons que perdre la « bataille Internet ».
Même en offrant la possibilité de livrer nos clients chez eux, Amazon a l’avantage de pratiquer la gratuité des frais de port, ce qui n’est pas possible pour les librairies indépendantes. Nous sommes obligés de facturer nos clients si nous ne voulons pas perdre d’argent, ce qui peut avoir un effet rédhibitoire sur le consommateur.
Nous faisons tous un peu de ventes en ligne sur nos sites Internet, mais la vente par Internet n’est pas le cœur de métier des libraires. Notre force de frappe réside dans nos magasins : c’est ce que nous pouvons offrir à nos clients en réponse à la logistique d’Amazon. En tant que libraire, mon cœur de métier est de savoir tenir un magasin, avec une offre structurée intellectuellement, avec des vitrines, avec une mise en scène des livres, et avec une équipe qualifiée et disponible pour le client.
Le modèle de la librairie n’est pas parfait, mais nous essayons d’avoir les meilleures politiques salariales possibles, nous redistribuons et il n’y a pas d’exode fiscal des libraires - en tout cas, pas à ma connaissance.
BS : Il existe des portails web indépendants de grands groupes, comme les librairies.fr, librairiesindependantes.com. Avez-vous remarqué une hausse de la fréquentation ou un lectorat différent amené par ces portails de réservation et de ventes ?
X.M. : Jamais nous n’aurons la force de frappe d’Amazon, mais nous voulons proposer une alternative, avec notamment le site librairiesindependantes.com. C’est avant tout un site de géolocalisation, un moyen de mettre en relation les clients avec les librairies proches de chez eux. À l’échelle de Paris, par exemple, ce système de géolocalisation fonctionne très bien.
Depuis quelques temps, j’observe aussi une volonté commune des libraires, de mutualiser nos stocks, parce que nous comprenons qu’il n’est pas question de garder un client pour soi, mais de le garder dans le service de la librairie.
Ne pas avoir un titre que le client demande, mais de l’envoyer à la librairie voisine est une façon d’apporter un service au client, et par ailleurs c’est un consommateur qui ne nous échappe pas, en tout cas pour cet achat là.
Dans l’esprit d’une consommation militante, j’ai co-fondé le site parislibrairies.fr, afin de répondre à la demande des clients qui recherchent de plus en plus à faire travailler les petits commerces, et pas seulement les librairies indépendantes d’ailleurs.
BS : La campagne sur le prix unique du livre s’adresse au grand public. Aux États généraux du livre de cette année, vous dénonciez un manque de communication entre les professionnels du livre. Avez-vous une solution pour palier ce manque ?
X.M. : Mon idée est de créer des passerelles, des réunions, entre les représentants des professionnels du livre : avec les éditeurs au travers du Syndicat national de l’édition (SNE), avec les libraires (SLF), et avec les auteurs par le biais de la Société des Gens de Lettres (SGDL), afin de faire front sur des sujets communs, comme le prix unique du livre, par exemple.
Le livre est universel et sociétal, et nous n’avons pas encore tout essayé. C’est pour cela que j’ai aussi proposé, il y a trois semaines, à mes homologues de l’édition et à des auteurs de réfléchir ensemble à une façon de donner la parole à des sortes d’ambassadeurs du livre, qui pourraient nous aider à capter des publics qui ont délaissé la lecture.
J’ai eu l’idée en regardant un entretien avec le rappeur et auteur Abd al Malik, qui parlait de l’importance du livre dans sa carrière et dans sa vie. Il serait donc intéressant de solliciter des personnalités proches du grand public, de tous les publics, comme des sportifs de haut niveau, des acteurs, des chanteurs, afin de mettre en avant le livre et d’en faire une cause nationale.
BS : Quels sont les prochains projets, actions et échéances du SLF ?
X.M. : La professionnalisation du métier de libraire et la mutualisation des outils en terme de gestion, d’achat, d’offre, qui nous permettent de mieux exercer notre métier. Quand on a un magasin qui fait 200 000 euros de chiffre d’affaires, il y a peu de marge de manœuvre possible pour faire de la recherche et du développement, d’où l’importance du collectif de fournir ces outils là.
Un autre enjeu fondamental sur lequel nous œuvrons est une meilleure répartition de la marge, qui n’est possible qu’en instaurant des dialogues avec les éditeurs, qui doivent notamment faire le choix d’accorder de meilleures conditions aux points de vente.
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